Sandrine Marlin¹, Margaux Serey-Gaut²
On considère que les surdités congénitales ou précoces ont une origine génétique dans près de 80% des cas. A ce jour, plus de 130 gènes ont été identifiés comme responsables de formes non syndromiques de surdité, et plus de 300 sont responsables de maladies génétiques syndromiques incluant une surdité. La recherche de la cause de la surdité et la proposition d’une consultation de génétique font partie de la prise en charge recommandée pour les surdités précoces (1).
Le dépistage néonatal génétique (DNNg) est une pratique médicale qui vise à détecter, dès les premiers jours de la vie, certaines maladies génétiques ou métaboliques chez les nouveau-nés. Cette démarche permet l’identification précoce de pathologies pouvant avoir des conséquences graves si elles ne sont pas prises en charge rapidement.
En France, le dépistage néonatal de 13 maladies d’origine génétique est proposé de manière systématique (https://sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/maladies- rares/DNN). Il repose sur des tests biochimiques et hématologiques pratiqués sur un prélèvement de gouttes de sang sur un papier buvard, réalisé dans les 3 jours après la naissance.
Les programmes de DNNg varient considérablement d’un pays à l’autre en termes de portée, de maladies dépistées et de technologies utilisées. La plupart des États américains offrent un dépistage néonatal pour plus de 30 maladies, dont des troubles métaboliques et des maladies génétiques comme l’amyotrophie spinale infantile. En chine, le DNNg s’est largement développé ces dernières années. En Europe, plusieurs programmes de dépistage génétique néonataux sont en cours d’étude. Le pays européen le plus avancé dans ce domaine est la Hollande qui a intégré dans leur dépistage néonatal des analyses génétiques par séquençage de nouvelle génération pour permettre une analyse plus large des maladies génétiques. A l’issue d’études pilotes, la Haute Autorité de Santé a recommandé très récemment l’inclusion de 2 diagnostics génétiques dans le DNN pour de l’amyotrophie spinale infantile (SMA) et le déficit immunitaire combiné sévère (DICS). La SMA est une maladie neuromusculaire causée par une mutation du gène SMN1, entraînant une dégénérescence des motoneurones et une faiblesse musculaire progressive. Des traitements récents, comme les thérapies géniques, mis en place avant l’âge d’un mois (et donc avant l’apparition des premiers symptômes) augmentent les chances de survie et améliorent la qualité des enfants touchés. Une prise en charge rapide du DICS, comme la transplantation de moelle osseuse, peut être réalisée avant l’apparition des infections graves changeant radicalement le pronostic.
Les réflexions autour du recours à l’analyse génomique pour le DNN ont conduit au lancement d’ICoNS (International Consortium of Newborn Screening), un consortium d’experts scientifiques internationaux qui œuvre à intégrer l’innovation génomique dans le DNN. Des dizaines de projets pilotes à l’international vont tester différentes stratégies de DNNg. Le projet français : PERIGENOMED propose d’étudier dés 2025 l’extension du DNN à un ensemble de maladies rares pédiatriques traitables ou actionnables, grâce à l’utilisation du séquençage d’une liste de gènes impliqués. La première phase de l’étude prévoit l’inclusion dans 5 maternités de 2500 nouveaux nés. La seconde évaluera la performance, l’utilité clinique, la pertinence et la viabilité économique d’un DNNg en France, ainsi que les conditions de sa transférabilité à l’échelle nationale. En parallèle, PERIGENOMED interrogera les aspects psychosociaux, éthiques, réglementaires et économiques, liés à l’extension du DNN par analyse génomique.
Le DNN par la méthode physique (DNNp) (OEA, PEA) de la surdité congénitale a d’une part montré son intérêt en accélérant l’accompagnement des enfants sourds mais aussi ses limites (non dépistage des neuropathies auditives et des surdités rapidement progressives dans les premiers mois de vie; manque de spécificité). Le DNNg des surdités précoces pourrait être utilisé en alternative ou en complément (les surdités précoces n’étant pas toutes d’origine génétique et les gènes impliqués n’étant pas tous connus à ce jour) d’un DNNp de la surdité afin d’en augmenter la spécificité (peu de faux positifs) et sensibilité (dépistage des surdités cochléaires, des neuropathies auditives et des surdités rapidement évolutives).
Des programmes de DNNg de la surdité ont d’ors est déjà été publiés montrant leur efficacité pour le dépistage des formes de surdités précoces. Une revue de la littérature publiée en 2019 (2), a retrouvé 16 études de 1980-2019 étudiant principalement des cohortes d’Asie et des Etats-Unis. La spécificité des DNNg étudiés était très nettement meilleure que celle DNNp (% vrai positif : 0,238% DNNp ; 42% DNNg). 1,4 à 2 % des enfants ayant passé le DPNp avaient un DPPg positif. Même si les résultats de cette revue de la littérature et d’autres publications plus récentes (3,4) plaident en faveur de l’utilisation du DDNg et que ces études reposent sur des cohortes très importantes de nouveaux nés (plusieurs centaines de milliers), les méthodes utilisées en termes de nombre de gènes étudiés et de méthodes d’analyse rendent les comparaisons et l’extrapolation difficiles.
L’accès à des thérapies ciblées (cf essai Audiogene pour le traitement de la surdité DFNB9, https://www.pasteur.fr/fr/espace-presse/documents-presse/audiogene-premier-essai-clinique-therapie-genique-france-qui-vise-soigner-surdite-enfant) va accélérer les besoins de diagnostic très précoces de certaines maladies rares. Le DNNg se développera donc probablement dans un futur proche. Cette méthode de dépistage devra faire face à de nombreux enjeux : organisation, méthodes, techniques, nombre et formation des professionnels, accompagnement des familles, accessibilité et prix du dépistage et des thérapies/accompagnements précoces.